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L'acceptation des engagements de La Poste par l'Autorité de la concurrence, la fin de 10 ans de procédure

Affaires - Droit économique
15/04/2020
Après 10 ans de procédure et une mesure d'urgence prise en 2011 suspendant le partenariat entre La Poste et Mondial Relay (Aut. conc., 12 mai 2011, déc. n° 11-MC-01 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par les sociétés Kiala France et Kiala SA dans le secteur de la livraison de colis), l'Autorité de la concurrence a mis fin au litige opposant La Poste à d'autres livreurs de colis. La fin de ce contentieux, relatif à l'octroi de remises par La Poste sur les marchés de la livraison de colis d’entreprises à particuliers à domicile et hors domicile, est due à l'acceptation d'engagements divers par l'Autorité de la concurrence qui n’a prononcé aucune sanction pécuniaire contre le mis en cause.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

Dans cette affaire, deux marchés connexes BtoC étaient concernés : le marché de la livraison de colis traditionnelle d'entreprises à particuliers à domicile, sur lequel La Poste est susceptible d'occuper une position dominante (86 % de parts de marché en 2016) et le marché de la livraison de colis d'entreprises à particuliers hors domicile, sur lequel La Poste n'est pas l'acteur de premier plan (22 % de parts de marché en 2016 contre 47 % pour Mondial Relay).
 
Les pratiques en cause
 
UPS et Kiala reprochaient à La Poste d’avoir mis en œuvre sur ces marchés huit pratiques constitutives d’abus de position dominante, prohibées à ce titre par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE. Selon les saisissantes, ces pratiques consistaient notamment en la mise en place d’une politique de prédation, de ventes liées ou encore de refus d’accès à une infrastructure de livraison.
 
Les éléments apportés par les saisissantes au soutien des pratiques dénoncées et les éléments recueillis par l’instruction n’ont cependant pas permis de confirmer l’existence de l'ensemble de ces pratiques.
 
S'agissant par exemple de la politique de prix de prédation visée dans la saisine, l'Autorité de la concurrence n’a pas retenu de préoccupations de concurrence. En effet, les marges négatives enregistrées par La Poste étaient intervenues lors de son entrée sur le marché de la livraison de colis hors domicile et la durée des pertes respectait la pratique décisionnelle de l’Autorité.
 
Il découle de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence qu’une entreprise en position dominante qui pratique des prix qui ne lui permettent pas de couvrir certains de ses coûts commet un abus (Aut. conc., 1er juin 2017, déc. n° 17-D-08 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport de voyageurs). L’Autorité considère toutefois que l’émergence d’un marché est susceptible d’expliquer les pertes durant une certaine période. À titre d’exemple, dans l’affaire Wanadoo (Comm. UE, 16 juill. 2003, déc. COMP/38.233 – Wanadoo Interactive), la Commission européenne a jugé que le développement encore faible du marché pouvait justifier l’inapplicabilité des tests de coûts pendant les 12 à 16 premiers mois de l’activité.
 
À l’inverse, l'Autorité de la concurrence a constaté que la politique de remises de La Poste, construite autour de tarifs standardisés et de tarifs individualisés, pouvait être problématique d'un point de vue concurrentiel. En particulier, deux types de remises ont été considérées comme étant susceptibles de restreindre la concurrence : les rabais de couplage et les remises rétroactives. Du fait de la position incontournable qu’occupe La Poste sur la livraison à domicile aux yeux des clients chargeurs et de la porosité des marchés entre la livraison à domicile et hors domicile, ces deux pratiques ont fait l’objet d’une analyse plus approfondie.
 
L’opportunité de la procédure d’engagement
 
Pour remédier à ces préoccupations concurrentielles, La Poste a proposé des engagements. Conformément à l'article L. 464-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence a apprécié en opportunité la possibilité de mettre en place une telle procédure.
 
Rappelons que l'objectif de la procédure d'engagement est double : cesser à l'avenir les comportements qui suscitent des préoccupations de concurrence et accélérer la résolution du litige.
 
Or, en l’espèce, la société UPS considérait que l’opportunité de recourir aux engagements ne permettrait pas de résoudre les problèmes évoqués en 2010, du fait notamment de la durée de l’instruction ou de la gravité de l’infraction.
 
L'Autorité de la concurrence a toutefois considéré, d'une part, que le délai d'instruction n'était pas suffisamment long pour la priver de l'opportunité d'accepter des engagements et, d'autre part, que les pratiques visées n'imposaient pas nécessairement l'édiction d'une sanction. Elle a en outre jugé qu'aucun élément du dossier ne permettait d'établir que l'économie avait subi un dommage important. À cet égard, la baisse des parts de marché de Kiala sur la livraison hors domicile ne serait pas imputable à La Poste et à la mise en place de sa politique de remises, mais à une baisse de la qualité des services de l'entreprise.
 
Le contexte étant jugé propice à la mise en œuvre d'engagements, il n’appartenait plus qu’à l'Autorité de s'assurer que les engagements proposés par La Poste en juillet 2019 étaient nécessaires, proportionnés et suffisants pour mettre un terme aux préoccupations de concurrence identifiées.

L’acceptation des engagements

À l'issue de son analyse et après une série d’échanges avec La Poste, l'Autorité de la concurrence a considéré que les engagements en cause étaient suffisamment proportionnés, en ce qu'ils permettaient de sécuriser le périmètre de leur mise en œuvre, le respect des engagements s’imposant à toute entité chargée de l’activité de livraison de colis BtoC à domicile (à l’heure actuelle, seule La Poste SA est contrainte par ces engagements et non l’entièreté du Groupe La Poste), de répondre au risque d'éviction lié aux remises de couplage rétroactives et de répondre efficacement aux préoccupations de concurrence.

Les engagements acceptés par l'Autorité de la concurrence sont variés et consistent notamment à mettre en place des formations en droit de la concurrence et une grille de prix nets sur la base d'une grille incrémentale. En vertu de l’article L. 464-2 du code de commerce, ces engagements ont valeur contraignante et leur non-respect est susceptible d’être sanctionné par l’Autorité.

Conformément à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, la décision de l'Autorité de la concurrence acceptant ces engagements sera exécutoire à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, due au Covid-19.

Marie-Alice BERTÉ
Louis GRALL
Source : Actualités du droit