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Devoirs de conseil et de collaboration : retour sur les obligations du constructeur

Civil - Immobilier, Responsabilité
08/06/2016
Outre un devoir de conseil, les constructeurs sont tenus à un devoir de collaboration dans l’intérêt de l’opération à réaliser pour le maître de l’ouvrage.
La société d’exploitation du parc des expositions de la ville de Marseille entreprend la construction d’un nouveau hall d’exposition. Elle confie une mission de maîtrise d’œuvre à un architecte et celle d’études techniques et de direction des travaux à un bureau d’études. Elle souscrit par ailleurs un contrat d’assurance dommages ouvrage. En 2003, les travaux sont réceptionnés avec réserves. En 2005, la société d’exploitation déclare deux sinistres, dus à l’insuffisance de résistance des dalles en bois et bétonnée du hall. L’assureur dommages ouvrage dénie sa garantie au motif que l’utilisation qui a été faite du hall d’exposition n’est pas conforme aux pièces écrites des marchés. La société d’exploitation assigne donc l’architecte ainsi que le bureau d’études en indemnisation de ses préjudices.
La cour d’appel accueille sa demande. L’architecte et le bureau d’études font grief à l’arrêt de les condamner in solidum au versement de dommages-intérêts. Ils affirment que le maître d’œuvre n’est pas tenu à un devoir de conseil lorsque le maître de l’ouvrage est un professionnel et que le conseil est fondé sur des éléments qui n’ont pas été portés à la connaissance de l’architecte, en l’occurrence la circulation d’engins à l’intérieur du hall et le déplacement de charges lourdes.
L’architecte, quant à lui, invoquant la faute du bureau d’études tenant à la modification de l’épaisseur des dalles, reproche également à l’arrêt de juger que, dans ses rapports avec ce dernier, il supportera la moitié des condamnations.
Ainsi, le maître d’œuvre manque-t-il à son obligation de conseil à l’égard du maître de l’ouvrage lorsque ce dernier ne l’informe pas du mode d’exploitation souhaité, impliquant le transport de charges lourdes ? Par ailleurs, quelle est la part de responsabilité de chacun des maîtres d’œuvre ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative à la première question et confirme l’arrêt d’appel. Selon la troisième Chambre civile, « si le maître de l’ouvrage ne justifiait pas avoir informé les concepteurs de son souhait de faire circuler des charges lourdes à l’intérieur du hall, l’architecte et le bureau d’études auraient dû se préoccuper du mode d’exploitation de l’ouvrage situé dans un parc des expositions, et de la question des charges roulantes, compte tenu notamment de la surface importante de ce hall (…) ». Elle relève, par ailleurs, qu’ « il n’était pas établi que les charges dynamiques résultant de la circulation d'engins à l'intérieur du hall pour permettre son exploitation, avaient fait l'objet de préconisations, observations, remarques ou conseils de la part de l'architecte ou du bureau d'études, en dépit des missions qui leur étaient confiées ». Dès lors, les juges du fond ont pu constater un manquement de ces derniers à leur obligation de conseil.
La Cour approuve également l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que, dans leurs rapports et compte tenu de leurs fautes respectives, l’architecte et le bureau d’études supporteront chacun la moitié des condamnations. L’architecte ayant « commis une faute en n'informant pas le bureau d'études sur l'utilisation concrète du bâtiment à édifier (…), précisions qui lui auraient permis de rédiger un CCTP mieux adapté et de procéder aux calculs appropriés » et le bureau d’études étant fautif « pour ne pas avoir attiré l'attention de l'architecte sur le problème des charges roulantes, alors même que les conventions signées par ces deux professionnels leur imposaient un devoir de collaboration dans l'intérêt même de l'opération à réaliser pour le maître de l'ouvrage ».
Voir le Lamy Droit de la responsabilité, n° 425-84.
Source : Actualités du droit