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BÉNIN : L’organisation judiciaire en matière de litige économique

Afrique - Droits nationaux
11/03/2019
Il existe des juges économiques dans chaque système juridique. Les règles les gouvernant au Bénin, ne sont pas très différentes de celles ayant cours dans les autres systèmes juridiques. À la différence qu’il doit être tenu compte du fait que le Bénin est membre de certaines communautés économiques et juridiques dont notamment l’OHADA et de l’UEMOA. Il est de ce fait, tenu de soumettre une partie des litiges économiques de ses justiciables à la compétence des juridictions de ces organisations. L'analyse de Sylvie Bissaloue, docteur en droit, chargée de cours à l’université de Parakou (Bénin), avocate au Barreau de Lyon.
Le litige économique désigne le contentieux né d’un différend en matière économique (une mésentente à la suite d’un contrat mal exécuté, d’un achat ou d’une vente, etc.) et susceptible d'être présenté devant un tribunal.
 
 
Les juridictions ordinaires
 
Les juridictions civiles et commerciales. – Au Bénin, ce sont les juridictions civiles et commerciales qui ont compétence en matière économique. Cette compétence est déterminée par loi n° 2001‐37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin (modifiée par la loi n° 2016‐15 du 28 juillet 2016 et par la loi n° 2018-2013 du 2 juillet 2018).

Tandis que le tribunal du commerce est compétent pour connaître des litiges nés entre commerçants, les juridictions civiles ont compétences pour les autres types de litiges économiques.

Lorsque le litige est de nature mixte, c’est-à-dire qu’il oppose une personne ayant le statut de commerçant à une personne « civile », cette dernière est libre de saisir la juridiction commerciale ou la juridiction civile.

Au contraire, lorsque le demandeur est le commerçant, celui-ci ne pourra saisir que le juge civil (le demandeur est celui qui saisit le juge tandis que le défendeur est celui contre qui l’action en justice est introduite).

Au Bénin, sont institués depuis la réforme de la loi portant organisation judiciaire (L. 26 juill. 2016, dote LPOJ) des tribunaux de commerce à :
  • Cotonou avec pour ressort territorial, les départements du littoral, de l'Atlantique, de l'Ouémé et du Plateau ;
  • Abomey avec pour ressort territorial, le Zou, les Collines, le Mono et le Couffo ;
  • Et à Parakou avec pour ressort territorial, les déportements du Borgou, de l'Alibori, de I'Atacora et de la Donga.
Ces tribunaux sont composés de juges professionnels et de juges consulaires. La loi impose un nombre impair de juges, de même qu’elle exige que le nombre de juges professionnels ne puisse être supérieur à celui des juges consulaires.

La compétence des juridictions civiles et commerciales est fixée par l’article 51 de LPOJ. Cet article dispose aussi que « les parties peuvent, conformément à l'Acte uniforme sur le droit de l'arbitrage dans le cadre du Traité OHADA, convenir de soumettre à l’arbitrage » leurs contestations.

Les tribunaux de commerce et les tribunaux d’instance peuvent tenir des audiences foraines dans les localités relevant de leur ressort.

La clause attributive de compétence matérielle au tribunal de commerce est inopposable ou défendeur non commerçant. De même, la clause attributive de compétence territoriale est réputée non écrite sauf « si elle a été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et si elle a été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée ».

La compétence spéciale de la CRIET.– La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) a été instituée par la loi 2018-2013 du 2 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin. Elle est compétente pour juger des crimes de terrorisme, des délits ou crimes à caractère économique tels que prévus par la législation pénale en vigueur ainsi que la répression du trafic de stupéfiants et des infractions connexes.

Le législateur reconnait à cette juridiction des pouvoirs très étendus. L’article 20 de la loi de 2018 prévoit ainsi que dès l’installation de la CRIET, les procédures relevant du domaine attribué à sa compétence dont l’enquête ou l’instruction seraient en cours devant les juridictions compétentes sont, sur réquisition des représentants du ministère public compétent, transférer au procureur spécial de la Cour pour continuation, selon le cas, de l’enquête de parquet par le procureur spécial, de l’instruction par la commission de l’instruction, du règlement du contentieux des libertés et de la détention par la chambre des libertés et de la détention et du jugement par la Cour.
Cette compétence rétroactive qui lui est ainsi reconnue explique qu’en dépit de son jeune âge, la CRIET ait déjà rendu un nombre considérable de jugements. C’est notamment le cas de la décision du 05 novembre 2018 N° CRIET/2018/RP/00035 dans laquelle la Cour après avoir requalifié des faits « d’escroquerie via internet », en « falsification de documents informatiques », a condamné chacun des quatre (04) prévenus à cinq (05) ans de prison ferme et à deux millions (2.000.000) FCFA au titre de dommages-intérêts au profit de l’État Béninois.
On peut également citer la décision N° CRIET/2018/RP/000100 rendue le même jour et dans laquelle la Cour a condamné le prévenu poursuivi pour exercice illégal de la profession de pharmacien à 06 mois d’emprisonnement ferme et à deux cent quarante mille (240.000) FCFA d’amende.

Juridiction d’exception à compétence nationale, la CRIET est à rapprocher de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) instituée au Sénégal par la loi n° 81-54 du 10 juillet 1981. Comme cette dernière, l’institution et le fonctionnement de la CRIET est très controversée au sein de la doctrine béninoise. Il lui est notamment reproché de rendre ses décisions en premier et dernier ressort (L. n° 2001-37, 27 août 2002, art. 19, al. 2) et d’autoriser des perquisitions au domicile d’une personne mise en cause sans son consentement.
Ce reproche semble-t-il, n’est pas partagé par la Cour constitutionnelle du Bénin. Par décision Doc 19-055 du 31 janvier 2019, la Haute juridiction appelée à se prononcer sur la conformité des articles 5, 12 et 19 de loi du 2 juillet 2018, a déclaré l’article 12 alinéa 2 de ladite loi, contraire à la Constitution de 1990. L’article visé était ainsi rédigé : « Les décisions de la Commission d'instruction ne sont susceptibles de recours ordinaires. Toutefois, l'arrêt de non-lieu peut être frappé d'appel devant la Cour de répression des infractions économiques par le procureur spécial ou par la partie civile. Selon le cas, la Cour évoque et juge l'affaire ou rejette le recours ».

Indépendamment des reproches plus ou moins justifiés adressés à son fonctionnement et notamment du risque d’instrumentalisation politique mise en avant par certains de ces détracteurs, fort est de reconnaître que l’ampleur des crimes économiques et notamment de la corruption au Bénin ces dernières années invitaient le gouvernement à plus de fermeté dans la répression des infractions économiques.
 
Les juridictions communautaires et arbitrales
La Cour commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA). – La CCJA est l’organisme judiciaire garant de l’applicabilité uniforme des actes dans l’ensemble des pays. Installée depuis 1998, son fonctionnement est organisé par le traité relatif à l’OHADA et le Règlement de procédure devant la CCJA. Elle se compose de treize juges élus par le Conseil des ministres de l’OHADA, pour un mandat de 7 ans non renouvelable.

Elle a son siège à Abidjan, mais elle peut siéger en tout autre endroit sur le territoire de l’un des dix-sept États membres de l’Organisation. Elle a déjà tenu des audiences foraines dans plusieurs États membres de l’OHADA ces dernières années.

La CCJA donne un avis préalable à l'adoption des Actes uniformes et tranche des différends entre les États quant à l'interprétation ou l'application du Traité.

En outre, la CCJA est compétente pour toutes les questions relatives à l'application des Actes uniformes, à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales.

La CCJA bénéficie également d’un transfert de compétences anciennement dévolues aux juridictions de cassation nationales. À cet effet, elle se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des États ou sur les décisions non susceptibles d'appel, avec la particularité de statuer au fond sans renvoi devant une autre juridiction. Elle contribue de ce fait, indéniablement à assurer une interprétation commune par les juges du fond de l’espace OHADA d’un même droit substantiel communautaire.

Elle peut être saisie directement par l'une des parties à une instance devant une juridiction nationale ou sur renvoi d'une juridiction nationale statuant en cassation.

La CCJA a également des compétences en matière d’arbitrage commercial. Elle organise l'arbitrage mais n'arbitre pas elle-même. Elle nomme ou confirme les arbitres, est informée du déroulement de l'arbitrage et examine les projets de sentence.

Elle peut prendre une décision d'exequatur pour l'exécution forcée d'une sentence arbitrale rendue dans un État.

La Cour de justice de l’UEMOA. – Créée par le traité de l’UEMOA du 10 janvier 1994, elle est une juridiction permanente composée de 8 juges, à savoir un juge par État, nommés pour un mandat de six ans renouvelables. Elle siège à Ouagadougou, au Burkina Faso.

Elle a une triple fonction juridictionnelle, consultative et d'administration des arbitrages. Elle veille à l'interprétation uniforme du droit communautaire et à son application et juge, notamment, les manquements des États à leurs "obligations communautaires".

Elle arbitre les conflits entre les États membres ou entre l'Union et ses agents.

Enfin, la Cour juge des manquements des États à leurs obligations communautaires. En matière de concurrence, elle apprécie la légalité des décisions prises par la commission relativement dans les cas d’ententes et d’abus de position dominante. Elle peut être saisie en ce sens par un État membre ou toute personne physique ou morale intéressée.

La Cour est saisie par les particuliers, les États et les organismes, selon les cas soit par requête, soit par notification du compromis adressée au Président.
Source : Actualités du droit